Cérémonie du 1er novembre 2022

Dès 9h, à l’entrée des cimetières du Grand et du Petit Sablon, une douzaine de membres du collectif se sont relayés, s’adressant aux personnes venus se recueillir devant les tombes de leurs proches.

Ceci pour les informer (ou leur rappeler) l’existence des carrés communs et leur proposer de leur offrir une fleur à aller déposer sur l’une des tombes de personnes décédées à la rue ou dans l’isolement. Cela a été l’occasion de nombreux échanges.

A 15h, nous nous sommes tous dirigés vers le carré commun du Grand Sablon, accompagnés de Marine Legendre, adjointe de Mr Spindler, maire de La Tronche, et de Georges, poète, qui est présent à nos côtés lors de tous les hommages.

Recueillis en silence devant ce carré commun, Pierre a pris la parole :

« Membres du collectif Morts de Rue et Personnes Isolées, nous voici réunis comme chaque année en ce 1er novembre. Réunis pour la trentième fois depuis un an, mais aujourd’hui, fait inhabituel, non pas autour d’un cercueil, mais sur le Carré Commun de ce cimetière. Réunis avec vous, membres de municipalités, d’associations ou, simplement, membres de la communauté humaine à laquelle nous appartenons tous.

Peut-être, certains d’entre vous, comme certains de ceux auprès desquels, depuis ce matin, nous nous sommes manifestés à l’entrée de ce cimetière, se demandent : Qui sont donc ces gens ?

En effet, qui sommes-nous pour nous proposer ainsi, par nos présences lors de cérémonies de mise en terre, à des personnes qui n’en ont pas fait la demande ? Qui sommes-nous à vouloir rompre la solitude qui constitua peut-être les derniers moments de leur vie ? La solitude et l’isolement nous font-ils si peur, nous rendent-ils si malheureux que nous voulions briser ainsi et comme annuler par notre présence ce qui constitua la fin de l’existence de ces personnes ? En quoi cela nous est intolérable de laisser leur corps s’engloutir dans l’oubli sans que nous n’ayons tenté de barrer le chemin à leur délaissement ?

Eh bien, nous sommes des amis ! Présents dans la solidarité et le soin que l’on se prodigue entre amis. Pareils à ces amis qui nous quittent le soir, après un repas pris en commun, auxquels nous disons en nous séparant à regret : « Allons, tu ne peux pas partir comme ça ! Prends cette veste, tu risques d’avoir froid. » Ou bien « Je vais te faire un sandwich pour la route. » Ou bien encore : « As-tu suffisamment sur toi en cas d’imprévu ? Et tu m’appelles si tu as un problème… »

Notre collectif représente cette façon « d’être avec », même dans l’éloignement. Même dans la séparation de la mort. Par ce geste si minimal et pourtant essentiel de nous détourner de notre propre vie le temps de ses obsèques pour rendre témoignage et hommage à un inconnu, une inconnue. Inconnu aux autres et pourtant devenue proche par ce mouvement de tout notre être social, spirituel, affectif. Inconnu dont l’annonce des obsèques est venue nous alerter, nous tirer de nos occupations habituelles, nous dire le monde comme il est parfois, sauvage, si sauvage, et nous demander de le réparer. Et, quoique ne connaissant rien de cet inconnu, de son histoire, en venant dans ce cimetière, chacun de nous visite alors ce qu’a pu être son sentiment d’esseulement. Chacun mu par des valeurs, des besoins, des intérêts différents, mais nous retrouvant dans la solidarité d’une société humaine redevenue normale. »

Puis, il a invité Elisabeth et Françoise à lire à haute voix les noms des trente personnes accompagnées par le collectif depuis un an :

« MARTINEZ Michel, novembre 2021

KAULINS Alvis, décembre 2021

DROGO Albert, décembre 2021

FRANCOIS Lenny, décembre 2021

LEGENDRE Hélène, janvier 2022

LANDAULT Christia, janvier 2022

BLADET Christian dit Papy, février 2022

MERLIN François, février 2022

RIFFIN Josette, février 2022

KIEFFER François, mars 2022

STRINGOS Constan, mars 2022

ZAKARAIA TSALIA, mars 2022

PORTET Franck, mars 2022

CLOT Monique, avril 2022

REVOL Bernard, mai 2022

FARES Gabriel, mai 2022

MAUGE Michèle, juillet 2022

KNAPP Romain, juillet 2022

WAKIM Mourched, août 2022

CHASTANG Henri, août 2022

RUPH Georges, août 2022

VERQUIN Pascal, août 2022

BOZONNIER Armand, août 2022

FOUGEROUSSE Martine, septembre 2022

FORTIER Agnès, septembre 2022

OKON Paulina, septembre 2022

GUYON André, octobre 2022

VIVIEN Jean-Pierre, octobre 2022

GAMBAU Jorge, octobre 2022

BECK Tornac, octobre 2022 »

Ensuite, Georges nous a dit quelques poèmes de sa composition.

Enfin, silencieusement, nous avons tous déposé des fleurs sur les tombes de ce carré commun.

Après cela, nous nous sommes dirigés vers le carré commun du Petit Sablon, le carré 7.

Au cours de ce recueillement, Pierre a redit son texte, puis, Madame Legendre a pris la parole :

« Le 1er novembre, jour férié de la République, est devenu le jour où l’on se souvient des morts. L’usage populaire a transformé deux fêtes religieuses catholiques, la fête de tous les saints le 1er novembre, et le jour des défunts le 2 novembre. Le mot Toussaint a perdu son sens religieux, il est devenu profane et son étymologie même n’est plus signifiante quand on l’emploi.

Cet usage populaire et profane de se souvenir des morts, d’honorer les morts, symbolisé par les chrysanthèmes, s’est répandu à partir du fleurissement des monuments aux morts le 11 novembre, après la fin de la première guerre mondiale. Jour des défunts, souvenir de l’armistice, souvenir des morts pour la France, souvenir des morts de chaque famille, floraison tardive des chrysanthèmes en ce début d’automne, où les jours raccourcissent. Tout cela nous incline à la nostalgie et à la méditation sur le temps qui passe et la mort qui nous attend. De la Toussaint : honorer tous les saints, on est passé à : Toussaint, tout nos morts sont à honorer, tout nos morts sont nos saints.

Tous nos morts. Non seulement ceux de nos familles, mais aussi ceux qui n’avaient plus de famille. Nous sommes ici dans ce qu’on appelle le carré commun, qui accueille les corps des personnes mortes sans ressource ou sans famille. Carré commun. Commun au sens de bien commun, partagé par tous. Commun au sens d’ordinaire, d’égal pour tous. Non pas une fosse commune, collective, mais un carré commun où chaque personne à sa propre tombe. Chaque personne y est identifiée, et non pas anonyme. Ce carré commun a été récemment nettoyé et réaménagé par les services de la commune. L’herbe va y pousser, pour en faire un espace à la fois collectif, la pelouse, et individuel, les planches avec les noms.

Le collectif et l’individuel. Singularité fondamentale de chaque personne humaine, mais le miroir de cette singularité, c’est la solitude. La singularité, mais aussi la solitude, c’est ce qui nous caractérise, depuis notre naissance jusqu’à notre mort. Mais nous sommes aussi des êtres sociaux, nous avons besoin des autres pour grandir et pour vivre en société. A cette solitude vient en contrepoint le collectif. Vous êtes membres du Collectif des morts de rue et isolés, beau nom de collectif pour s’occuper de celles et ceux que la mort a saisi dans la solitude. Le collectif pour les isolés.

Il n’est plus jamais de solitude pour ceux qui sont morts. Ce qui nous émeut et ce qui nous rassemble ici, c’est cette solitude qui n’en est plus une.

Le rôle de la famille ou des proches d’une personne qui vient de mourir est de s’occuper des funérailles. Cela fait partie de ce travail de deuil nécessaire : prendre encore soin de celui qui est mort, s’occuper de son corps. Quand une personne est isolée, il n’y a personne pour le faire. C’est ce rôle de soin ultime, d’accompagnement ultime, que jouent les bénévoles du Collectif Morts de rue et isolés. Prendre soin, gratuitement, prendre encore soin de celui ou celle qui vient de mourir, comme on le ferait pour un proche.

Je vais dire le nom de ceux qui ont été enterrés ici, depuis un an, et dont le nombre augmente, chaque année.

Christian LANDAULT

Slobodan SULIC

Nemesio RECIO DOMINGUEZ

Hassen DJELLAB

Josette RIFFIN

Françoise KIEFFER

Tsiala ZAKARAIA

Christophe ARRIVÉ

Monique GERY

Bernard REVOL

Gabriel FARES

Denis BLANC (N°33)

Michèle MAUGE

Romain KNAPP

Mourched WAKIM

FORTIER Agnès

Paulina JIMOH (née OKON)

Alain SPOSITO

Jorge GAMBAU

Je vous remercie, vous qui, par votre présence, témoignez collectivement que toutes les personnes enterrées ici appartenaient à la communauté universelle des humains. »

Après cela, avant de nous disperser, nous nous sommes dirigés vers le carré 8, celui des enfants, où nous avions accompagné, en mai 2021, le petit Gabriel.